Revue de presse 22

Revue de Presse N°22 - 2018

DANS LA PRESSE…

Temps de stockage des concentrés plaquettaires et risque d’hémoculture positive chez les receveurs

En pratique transfusionnelle, il est couramment admis que le risque de contamination bactérienne du receveur par un concentré de plaquettes (CP) s’accroît avec le temps de stockage. Si un ou des germes sont initialement présents, ils prolifèrent au cours du stockage à température ambiante sous agitation douce du CP. De plus, le suivi des événements indésirables receveur réalisé dans le cadre de l’hémovigilance a montré que les CP étaient majoritairement responsables des infections bactériennes transmises par transfusion (IBTT), incluant des décès de receveurs, en l’absence de contrôle bactérien par culture d’un échantillon du produit (des résultats « faux négatif » de culture pouvant exister) ou d’utilisation d’une technique de réduction de pathogènes. Une étude très récente effectuée sur une cohorte danoise portant sur le risque d’une hémoculture positive chez un receveur de CP et la durée de stockage du produit remet en question les données actuelles en matière de risque bactérien (Kreuger et al. Storage time of platelet concentrates and risk of a positive blood culture: a nationwide cohort study. Transfusion 2018; 58:16-24).

Au Danemark, le stockage des CP est autorisé jusqu’à 7 jours et est associé à un dépistage bactérien. Les auteurs ont confronté des données transfusionnelles et des résultats d’hémoculture chez les receveurs. Ils se sont intéressés tout particulièrement au stockage des CP à J6 et J7 et ont recherché si un lien existait avec une hémoculture positive chez le receveur.

L’étude a porté sur une cohorte incluant tous les receveurs de CP entre 2010 et 2012. Les receveurs étaient âgés de 18 ans et plus. Afin d’obtenir une homogénéité de la population de patients, les hôpitaux ayant transfusé moins de 1000 CP sur la période de l’étude retenue ont été exclus.

Les informations concernant les receveurs ont été recueillies à partir du « Scandinavian Donations and Transfusions database (SCANDAT2) ». Elles incluaient : le sexe, le groupe sanguin, les dates de naissance, de décès et de migration, les diagnostics à la sortie et les codes de protocoles. Seuls les résidents danois ont été étudiés.

Les informations portant sur les résultats des hémocultures ont été obtenues à partir du système de données danois de microbiologie, le « MiBa ». Ce système possède des copies des comptes rendus de résultats de tous les départements de microbiologie danois avec une date de prélèvement incluse entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2012.

Pour les CP, la production de mélanges de concentrés de plaquettes (MCP) est réalisée à partir de buffy-coat de donneurs ABO et RH1 matchés mis en suspension dans une solution de conservation (PAS-C, Intersol, société Fenwal). Le pool est fabriqué entre 3 et 30 heures après les dons (de préférence après une nuit de stockage sous forme de sang total). Le screening bactérien est pratiqué avec le système BacT/ALERT sur un échantillon du pool collecté juste après sa fabrication. Avec un résultat négatif, les produits sont délivrés. Les CP ont été répartis en deux groupes, les âgés (stockage de 6 ou 7 jours) et les frais (stockage de 1 à 5 jours). Le temps de stockage courrait du jour du don (jour 0) au jour de la transfusion du CP. Le temps de stockage des CP d’aphérèse n’a pas été étudié (transfusion pour des indications spécifiques notamment, environ 3% de la production).

Le critère principal d’intérêt était la survenue d’une hémoculture positive indépendamment de la cause. L’analyse testait si la survenue d’une hémoculture positive à un jour donné était associée à la transfusion d’au moins un CP âgé dans les 1 à 7 jours précédents. Les auteurs ont utilisé une approche de fenêtre glissante avec une période de constatation d’exposition de 1, 3, 5 et 7 jours prolongée d’une période de suivi d’un jour pour relever l’apparition d’un résultat d’hémoculture positif. Les patients étaient considérés à risque s’ils avaient reçu au moins un CP durant la fenêtre et n’avaient pas d’hémoculture positive dans les 14 jours précédents. Une stratification basée sur le nombre de transfusion de CP a été également pratiquée.

Trois éléments complémentaires ont été analysés: transfusion d’au moins un CP âgé chez des patients avec hémopathie maligne ou aplasie médullaire, effet de la dose réponse, transfusion donnée les jours de suivi pour vérifier si l’exclusion de ces jours induisait un biais (délai de la prochaine transfusion plus court avec les CP âgés). Sur la période de l’étude, 9776 patients ont été, au final, inclus (majoritairement des hommes, 62,3%) de 64,1 ans d’âge moyen et ont reçu 66 101CP dont 22 240 âgés. Sur le plan de la pathologie, 49,0% des CP ont été transfusés à des patients atteints d’hémopathies malignes. Un total de 211 hémocultures positives a été relevé ce qui correspondait à un taux d’incidence de 8,0 pour 1000 jours d’observation. Chez les patients avec une transfusion dans les 3 jours précédents, le taux atteignait 6,5 pour 1000 jours. Avec une fenêtre de 5 jours, il était de 5,7 pour 1000 jours et avec une fenêtre de 7 jours, de 5,2 pour 1000 jours. Dans toutes les fenêtres, le taux d’incidence augmentait avec le nombre de CP transfusés.

Le ratio du taux d’incidence d’une hémoculture positive après la transfusion d’au moins un CP âgé contre seulement des CP frais était de 0,77. Pour une fenêtre de 3 jours, il était de 0,96, de 5 jours de 0,98 et de 7 jours de 1,05. Chez les patients n’ayant reçu qu’un CP, le ratio du taux d’incidence d’une bactériémie le lendemain de la transfusion était plus faible avec un CP âgé (0,57).

Chez les patients avec hémopathies malignes, le ratio du taux d’incidence était également plus faible avec au moins un CP âgé (0,54) par rapport à la transfusion de CP frais uniquement. La transfusion d’un seul CP âgé comparée à la transfusion d’un seul CP frais montrait un ratio du taux d’incidence plus bas (0,44). Que ce soit dans les 3 jours, 5 jours et 7 jours précédents, les estimations étaient similaires. Il n’y avait pas de relation évidente avec le paramètre dose-réponse.

Les auteurs notent que le temps de stockage d’un CP à J6 et J7 n’était pas associé avec un risque d’hémoculture positive comparé à un temps de stockage à J5 ou moins. Une incidence plus faible d’hémoculture positive le lendemain de la transfusion était notée après la transfusion d’un seul CP âgé par rapport à un CP frais. Il n’y avait pas d’association pour les patients recevant des transfusions multiples (changement d’indication, morbidité associée). L’effet protecteur d’un CP âgé n’était seulement observé que sur une fenêtre très courte (patients avec hémopathies recevant des antibiotiques à titre prophylactique après 3 jours ou plus, mais non immédiatement dans le jour qui suit la transfusion). Le risque plus élevé d’une hémoculture positive tôt après la transfusion d’un CP frais pourrait être dû à une contamination pas encore détectée par le système de dépistage bactérien. Les auteurs signalent qu’il n’y pas d’explication sur l’effet protecteur d’un seul CP âgé du point de vue de l’incidence d’une hémoculture positive. Il y a des explications peu probables sur cet effet. Les auteurs concluent que le stockage de CP jusqu’à 7 jours avec un dépistage bactérien associé systématique est sûr.

Un éditorial de M E Brecher est publié en même temps que cet article (Do older platelets increase the risk of transfusion-associated sepsis ? Transfusion 2018; 58: 1- 2). Il apporte des éléments de réflexion complémentaires.

Effets indésirables receveur lors de la transfusion en pédiatrie

Si les effets indésirables receveur (EIR) sont bien étudiés chez les patients adultes transfusés, les données sur ce sujet, dans le domaine pédiatrique, demeurent encore limitées. Une équipe américaine rapporte des informations intéressantes dans une étude en pédiatrie accompagnée d’une comparaison avec les adultes (Vossoughi S et al. Analysis of pediatric adverse reactions to transfusion. Transfusion 2018; 58: 60-69). L’étude rétrospective a été effectuée entre janvier 2009 et décembre 2015 dans 9 hôpitaux pédiatriques et 35 hôpitaux d’adultes. Le nombre de transfusion et le type d’événement indésirable par an, âge des patients, diagnostic et symptômes des patients traités, ont été explorés. Pour le diagnostic comme pour l’imputabilité, les critères de caractère « certain », « probable » ou « possible » ont été appliqués. Plusieurs systèmes ont été utilisés pour le recueil des données notamment les EIR [AABB Center for Patient Safety (CPS)].

Sur la période considérée, 3822 EIR ont été notifiés répartis en 3670 EIR de « CPS » et 152 de « Non-CPS » intéressant 1 222 869 produits sanguins transfusés. Un total de 1402 patients pédiatriques (260 664 produits transfusés) et de 2420 patients adultes (962 205 produits transfusés) a été inclus.

Du point de vue de l’imputabilité, chez les adultes, le caractère « certain » était présent dans 44,4% des cas, « probable » dans 32,0% des cas et « possible » dans 23,6% des cas. Chez les enfants, le caractère « certain » était validé dans 37,7% des cas, « probable » dans 49,2% des cas et « possible » dans seulement 13,1% des cas. Comparativement, plus d’imputabilités « certaine » et « probable » étaient observées chez l’adulte par rapport à l’enfant où le caractère « probable » était le plus fréquent. Cette différence était statistiquement significative.

Le taux d’EIR notifiés chez les enfants était deux fois supérieur à celui des adultes, 538 pour 100 000 transfusions contre 252 pour 100 000 transfusions. Les produits sanguins labiles les plus en cause étaient les concentrés de globules rouges (CGR) et les concentrés de plaquettes (CP). Chez les enfants comme chez les adultes, des taux plus élevés d’EIR étaient observés avec les CGR, 54,6% et 64,1% respectivement. Pour les CP, le taux était plus élevé chez les enfants (40,2%) que chez les adultes (21,8%). Le taux d’EIR chez les enfants était plus du double de celui détectés chez les adultes que ce soit pour les CGR (577 et 278 pour 100 000 CGR) et les CP (833 et 358 pour 100 000 CP) (statistiquement significatif). Les EIR, hémolyse aigue, allergie et réaction fébrile non hémolytique avaient des taux plus élevés chez les enfants avec les CGR. Pour les hémolyses aigues, le taux était 10 fois supérieur chez l’enfant avec 9,03 pour 100 000 contre 0,9 pour 100 000 chez l’adulte. Les réactions allergiques lors des transfusions de CP étaient plus habituelles chez l’enfant (624 pour 100 000 contre 183 pour 100 000). Trois EIR étaient plus fréquents chez l’adulte : les réactions sérologiques retardées, les réactions d’hémolyse retardée et les oedèmes aigus du poumon de surcharge.

Chez l’enfant comme chez l’adulte, la majorité des EIR était non sévère, 95,3% et 88,7% respectivement. Il n’y a pas eu de décès lié à la transfusion dans la population pédiatrique.

D’un point de vue global, les enfants présentaient deux fois plus d’EIR que les adultes. Les réactions allergiques étaient les EIR les plus fréquents avec les CGR et les CP. Les taux de ces réactions étaient 3 fois plus élevés que chez l’adulte pour les CP et 7 fois plus élevés avec les CGR. Il en était de même pour la réaction fébrile non hémolytique avec le même profil. Les raisons pour lesquelles ces taux sont plus hauts ne sont pas claires. Les auteurs soulignent que le monitoring plus intense en pédiatrie pourrait être à l’origine de ces données (augmentation des notifications). Les auteurs signalent que le taux beaucoup plus élevé de réactions hémolytiques aigues chez les enfants doit être interprété avec prudence (effectif faible).

La différence pour les réactions retardées est plus inattendue, la probabilité d’acquérir des anticorps après transfusion de CGR étant équivalente chez l’enfant (de plus de 4 mois) et l’adulte (délivrance de CGR compatibles RH-KEL chez l’enfant ?). Les auteurs notent plusieurs limites à leur étude : notification basée sur le volontariat, EIR sous-estimés ou non reconnus. Les systèmes de collecte de données ne requièrent pas la notification des réactions allergiques modérées (qui sont cependant déclarées).

En conclusion, cette étude montre que les EIR sont beaucoup plus fréquent dans la population pédiatrique transfusée que chez l’adulte. La compréhension de ces différences demeure essentielle pour la prévention.

Pierre MONCHARMONT

N°22
2018