Editorial 13

EDITORIAL N°13 - SEPTEMBRE 2016

L’été est propice à la parution de lois et arrêtés, surtout ceux qui risquent de « fâcher ». Ainsi les acteurs de la transfusion sanguine ont du s’approprier l’entrée en vigueur, le 10 juillet, de l'arrêté déposé le 5 avril 2016 qui met fin à l’éviction définitive des donneurs homosexuels de sexe masculin, mesure adoptée par la France en 1983, au début de l'épidémie de Sida, quand les experts avaient peur que cette maladie largement méconnue ne contamine les réserves de sang. La durée d’ajournement est réduite à 12 mois selon des critères précis.

Comme le notait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), « à partir d’un même risque de transmission de l’infection VIH par transfusion sanguine lié à la fenêtre biologiquement silencieuse de 12 jours en moyenne, durant laquelle l’infection est encore indétectable par les tests biologiques pratiqués chez le donneur, différents pays dans le monde ont mis en place des réponses très différentes, concernant les hommes déclarant avoir eu des relations sexuelles avec un ou plusieurs homme(s). » Le CCNE notait très clairement : « Ces différences de réponse entre les pays quant aux contre-indications ne tiennent donc pas uniquement à des raisons de nature scientifiques et médicales, mais à la prise en compte et à la résultante complexe des dimensions sociétales et culturelles ».

Cet aspect de la réflexion nous fait regretter que la commission d’éthique de l’Institut national de transfusion sanguine (INTS) n’ait pas été consultée dans ce débat. En effet, cette commission composée d’experts représentant à la fois les acteurs de la transfusion mais aussi les « usagers » (patients, prescripteurs, donneurs), ne serait-elle pas qualifiée pour rendre un avis ? La commission a certes débattu largement sur ce sujet mais son avis n’a pas été requis.

Outre le long argumentaire du CCNE, le rapport ministériel du député Olivier Véran sur la filière du sang en France, recommandait, en juillet 2013, de « Renforcer la sécurité du don en faisant évoluer le questionnaire de l’orientation sexuelle vers le niveau de risque individuel du donneur ». Ce rapport préconisait également la création du « Haut Conseil de la Filière du Sang ». N’ayant retrouvé aucun avis de ce Haut Conseil sur ce sujet et m’étonnant que cette instance n’ait pas non plus été consultée, je découvre que ce Haut Conseil n’a jamais vu le jour…

Dans le même temps, nos collègues médecins de collecte s’émeuvent du projet de suppression du médecin de collecte à l’horizon 2017(sans doute pour l’été prochain…).

Le remplacement du médecin de collecte, ne poserait-il pas un problème pour répondre à la recommandation du CCNE que je me permets de citer à nouveau ici : « Le CCNE considère que, plus qu’un questionnaire, c’est la qualité du dialogue avec le professionnel de santé qui permet au mieux à la personne de réaliser l’importance de ses déclarations et ouvre la possibilité d’une expression moins difficile concernant des comportements sexuels à risque. » […] « Mais seul un temps suffisant consacré à l’entretien de la personne avec le médecin chargé de la sécurité du don pourrait permettre de s’éloigner de la notion statistique de groupe à risque, d’établir une véritable relation avec le donneur, et de pouvoir, lors de l’entretien, discerner au mieux ses comportements à risque, y compris ses incertitudes concernant ses comportements. » ?

Nous pourrions réfléchir à la qualification de ce professionnel de santé : certes tout médecin n’est pas formé à la psychologie, mais techniciens et infirmiers, le sont-ils plus ? J’aurais envie, à la lumière des recommandations et référentiels portant sur la construction du plan personnalisé de soins ou de la limitation et arrêt des thérapeutiques spécifiques ou de la décision de soins palliatifs, de poser la question du rôle de la pluridisciplinarité dans cet acte hautement engageant qu’est l’accueil d’un donneur de sang.

Je sens que je ne serai guère suivie par les managers de la transfusion sur ma demande de pluri professionnalité, gage de qualité dans la décision d’ordre médicale. Ils ne pourront certes pas ajouter au poste de médecin, celui de l’infirmière qui va prélever le donneur, ainsi que le regard d’un(e) psychologue et pourquoi pas également d’un sexologue ?

Avant que la modification de la loi concernant l’accueil du donneur, l’établissement de son aptitude au don ou de son ajournement ne devienne effective, est-il encore temps de consulter les professionnels de la prévention des infections sexuellement transmissibles ? Les commissions d’éthique de l’INTS et de l’Etablissement français du sang ? Que vaut une législation qui ne tient pas compte du conseil des experts ?

Nous constatons ici la grande complexité de la mise en place d’un système qui pourrait nous aider au meilleur choix. Même si nous faisons abstraction de la gestion comptable de la « filière du sang », la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire, pluri professionnelle, me semble impossible. En l’absence de structure professionnelle optimale, ne devons-nous pas alors revenir à la relation de confiance avec le donneur, relation qui impose plus que jamais une information de qualité comme le recommande, là encore, le CCNE ?

Je me permets d’ajouter en conclusion ce questionnement du Professeur Christian Hervé, directeur du laboratoire d’éthique médicale de l’Université Paris-Descartes et par ailleurs président de la commission d’éthique de l’INTS : "Comment créer le cadre éthique qui assure l'humanité associée à l'efficacité des pratiques cliniques".

Dominique Jaulmes

SEPTEMBRE 2016
N°13